CHAPITRE VIII

 

— Écoutez, dis-je après le départ du serveur, maman n’a pu faire le coup. Elle a un alibi.

Tous deux me regardèrent et l’oncle Ambroise leva les sourcils. Je leur racontai ma conversation avec Bunny.

— Possible, dit Bassett. J’irai voir le gars. Tu connais son adresse ?

— Bien sûr.

Je lui donnai l’adresse de Bunny Wilson.

— … Il quitte son travail à une heure trente, le matin.

— Bien. Je ne ferai rien avant d’avoir causé avec lui. Quoique son témoignage puisse être sans valeur. Il est un ami de la famille – d’elle, aussi. Peut-être a-t-il un peu menti sur l’heure, pour lui être agréable.

— Pourquoi ?

Bassett haussa les épaules. Un de ces gestes qui n’implique pas l’ignorance, mais simplement le désir d’éviter de répondre. Je réagis vivement.

— Dites donc, vous…

L’oncle Ambroise posa sa main sur mon bras.

— Tais-toi, Ed. Va faire un tour dehors si tu as besoin de te calmer. C’est sérieux. Sors !

Bassett se leva pour me laisser partir. Que le diable l’emporte, ce policier !

Je sortis et marchai vite. En cherchant une cigarette dans ma poche je m’aperçus que j’en retirais une boule rouge en caoutchouc, une de celles qui se trouvaient dans la valise.

Je m’arrêtai près de l’escalier menant au métro aérien et je contemplai la balle. Un souvenir me revint, la vague représentation d’un homme jonglant avec des boules rouges, alors que je n’étais qu’un bébé. Il riait et les boules aux vives couleurs reluisaient sous la lumière de la lampe, dans la nursery de l’appartement, à Gary. J’avais cessé de pleurer pour contempler les sphères tourbillonnantes.

Cela s’était reproduit, plusieurs fois. Je me revis, marchant, cette fois-là, essayant d’attraper les boules ; il m’en avait donné une pour jouer avec, avait ri quand je l’avais portée à ma bouche.

Je devais avoir trois ans, pas beaucoup plus, en tout cas, la dernière fois. J’avais complètement oublié.

Il avait fallu la sensation de cette boule dans ma main, pour que ces jeux oubliés revinssent à ma conscience !

Mais l’homme, le jongleur, je ne parvenais pas à le revoir.

Je ne me souvenais que de son rire, et des boules brillantes.

Je la lançai en l’air et la rattrapai… Serais-je capable d’apprendre à jongler avec six boules ?

Quelqu’un se mit à rire et dit :

— Tu veux des sous ?

C’était Bobby Reinhart, l’apprenti de chez Heiden, l’entrepreneur de pompes funèbres, le type qui avait identifié papa lorsqu’il était venu travailler, le jeudi matin. Il portait un complet blanc, genre Palm-Beach, qui accentuait son teint brun, ses cheveux noirs collés à la brillantine.

Il riait, et je n’aimai pas son rire déplaisant.

— Tu as dit quelque chose ? demandai-je.

L’autre cessa de rire, et son expression devint mauvaise.

Parfait ! Je souhaitai qu’il parle. Je le regardai en pensant qu’il sortait avec Gardie, qu’il avait vu papa chez l’entrepreneur, qu’il avait travaillé sur son corps, ou observé pendant que Heiden faisait le nécessaire, et…

Que diable ! Si ç’avait été quelqu’un d’autre, c’eut été différent. Mais quand on n’aime pas un type, pour commencer, et que des choses pareilles arrivent, on le hait.

Il dit :

— Qu’est-ce que c’est que ce ton…

Et il enfonça sa main droite dans la poche de son veston.

Peut-être ne cherchait-il qu’une cigarette. Un revolver, c’était peu probable, étant donné le voisinage. Mais je ne m’attardai pas à réfléchir à la question : sans doute ne cherchais-je qu’une excuse.

Je le pris à l’épaule, je le fis pivoter et je saisis son poignet gauche par derrière. Il poussa une exclamation de douleur et un objet métallique tomba sur le sol.

Lâchant son poignet, j’attrapai le col de son veston et l’empêchai ainsi de se baisser pour ramasser l’objet : c’était un « coup de poing » en cuivre.

Par l’effort violent qu’il fit pour se libérer, le vêtement, en tissu léger, se déchira de haut en bas, la moitié droite glissa de son épaule et un portefeuille tomba de la poche intérieure.

Adossé au mur maintenant, la rage au cœur, il m’aurait volontiers assommé, mais, privé du coup de poing en cuivre, il savait l’entreprise irréalisable. N’osant ramasser ce qui était tombé, il ne voulait pas davantage filer sans récupérer son bien.

Je donnai à son arme de voyou un coup de pied qui l’envoya sur la chaussée, puis je dis :

— Allez, ramasse tes billes et fous le camp ! Et tais-toi, si tu ne veux pas que je te casse la gueule !

Son regard fut éloquent mais il n’osa rien dire. Il s’avança pour ramasser ses affaires. Mon regard se posa alors sur le portefeuille, et je m’en emparai soudain avant qu’il puisse le faire.

C’était celui de papa. Un joli portefeuille presque neuf, mais dont le cuir portait une éraflure caractéristique : je venais de la reconnaître.

Une voiture prenait le tournant et Bobby partit en courant. Je le poursuivis, non sans avoir fourré le portefeuille dans ma poche. Une voix cria : « Arrêtez ! » La voiture repartit.

Je le rattrapai bientôt et me mis à le battre, mais les policiers de l’auto, car c’était une voiture de police, se précipitèrent et nous séparèrent rudement.

— En route pour le poste ! dit l’un d’eux.

Inutile de résister. Mais j’avais des choses à dire.

Ce que je fis, comme ces messieurs nous dirigeaient vers l’auto.

— Il ne s’agit pas d’une simple bagarre, dis-je, mais d’une affaire criminelle. Bassett, le détective, est dans une taverne tout près d’ici… Menez-nous auprès de lui. Il voudra certainement interroger le garçon.

Le flic qui me tenait palpait mes poches.

— Tu raconteras tout ça au poste.

L’autre dit :

— Bassett… C’est un détective du bureau des Homicides. De quelle affaire s’agit-il, petit ?

— Mon père, Wallace Hunter. Il a été tué dans une ruelle qui donne dans Franklin Street, la semaine dernière.

— En effet, il y a eu un crime dans cette ruelle… Allons voir Bassett, puisque c’est près d’ici, ajouta-t-il à l’adresse de son collègue.

Nous montâmes tous dans la voiture et j’indiquai le chemin. Ils ne prirent pas de risques et nous tinrent solidement par les bras pour nous faire descendre devant la taverne, où nous fîmes une entrée sensationnelle.

Bassett et l’oncle Ambroise s’y trouvaient toujours et ne manifestèrent aucune surprise.

— Ces deux galopins se battaient, dit le flic qui connaissait Bassett. Celui-ci prétend que ça pourrait vous intéresser…

— Possible, dit le détective. Tu peux le lâcher. Qu’y a-t-il, Ed ?

Je pris le portefeuille et le mis sur la table.

— Il appartenait à papa. Ce salaud l’avait.

Bassett ouvrit le portefeuille qui contenait quelques billets, un de cinq dollars et plusieurs d’un dollar. Il examina la carte d’identité, puis il s’adressa à Bobby.

— Qu’est-ce que ça veut dire, Reinhart ?

— Gardie Hunter. C’est elle qui me l’a donné.

Je vis l’oncle Ambroise tressaillir.

— Quand ? demanda Bassett.

— Hier soir. Bien sûr, c’était à son père, elle me l’a dit.

Bassett mit le portefeuille dans sa poche, puis il alluma une cigarette et s’adressant aux policiers :

— Merci, les amis. Je voudrais que vous gardiez Bobby Reinhart jusqu’à ce que je vérifie sa déclaration. Bouclez-le, pour l’instant. Il est probable que je téléphonerai bientôt au poste, pour qu’on le relâche.

Bobby me lança un regard noir lorsque les flics l’emmenèrent.

— Quand tu voudras, dis-je. À ta disposition !

Bassett se leva et s’adressant à mon oncle :

— Eh bien, voilà qui devient intéressant !

— À votre place, je n’attacherai pas trop d’importance à ce portefeuille. Ça ne signifie rien.

Bassett haussa les épaules et me dit :

— Je préfère que tu ne couches pas chez toi, ce soir, petit. Va chez ton oncle.

— Pourquoi ?

— Parce que nous allons faire une perquisition, que nous aurions dû faire en premier lieu. Nous allons essayer de retrouver la police d’assurance, entre autres choses.

L’oncle Ambroise fit un signe d’assentiment et Bassett partit. Au bout d’un moment, je rompis le silence.

— Bobby m’a exaspéré, dis-je. J’ai vu rouge… mais je crains d’avoir mis les pieds dans le plat…

— Va te laver la figure et t’arranger un peu, dit mon oncle en guise de réponse.

J’obéis et me rendis au lavabo pour mettre de l’ordre dans mon apparence. À mon retour mon oncle me demanda :

— Comment te sens-tu ? Es-tu capable de veiller toute la nuit ?

— Oui.

— Parce que nous ne nous sommes pas encore mis au travail sérieusement. Nous avons pignoché ; maintenant, on va y aller carrément.

— Je ne demande que ça ! Que va faire Bassett ? Arrêter maman ?

— Il va la convoquer pour la questionner, en tout cas. Gardie aussi, à cause du portefeuille.

— Elles seront relâchées ensuite ?

— Je n’en sais rien. Peut-être pas, si Bassett trouve cette police d’assurance. Nous avons eu deux pépins, ce soir, cette police d’assurance et le portefeuille. Tous deux ne représentent que de fausses pistes, mais essaye d’expliquer ça à Bassett !

À nouveau, je tenais la boule de caoutchouc rouge, je jouais avec. Mon oncle la prit, l’aplatit en la serrant dans sa main, il avait des mains très puissantes.

— Je regrette que nous ayons retrouvé tout ça. Que diable ! Je ne peux l’expliquer, mais j’aurais préféré que Wally n’ait rien gardé.

— Je crois vous comprendre…

— Il a dû se mettre dans un sacré pétrin. Je ne l’avais pas vu depuis dix ans. Dix ans !

— Dites, oncle Ambroise, y a-t-il une possibilité qu’il se soit tué lui-même ? En se frappant avec une des bouteilles ? Il savait jongler. Supposons qu’il ait lancé la bouteille en l’air, et qu’il se soit arrangé pour la recevoir sur le front ? Ça paraît absurde, mais…

— Ta supposition n’est pas invraisemblable, petit, mais impossible pour une raison que tu ignores. Wally était incapable de se tuer, une sorte d’inhibition. Non qu’il craignît la mort – il pouvait la désirer. Je me souviens d’une circonstance où il a voulu se tuer. Pendant notre voyage à travers le Mexique, il fut mordu par un serpent Cugulla. Nous nous trouvions sur une piste déserte, nous étions dépourvus de médicaments ; du reste, il n’existe aucun antidote pour la morsure de ce serpent : on meurt en deux heures, dans des souffrances atroces. La jambe se mit à enfler, la douleur devint rapidement insupportable. Il avait le seul revolver que nous possédions et, après m’avoir dit adieu, il essaya de se tuer. Mais il ne put presser sur la détente, ses réflexes étaient bloqués. Il me supplia de tirer, et je l’aurais peut-être fait si les douleurs avaient empiré. Mais nous entendîmes quelqu’un approcher : un métis, juché sur un vieux cheval.

« Cet homme nous affirma qu’il ne s’agissait pas d’un Cugulla, mais d’un serpent qui lui ressemblait beaucoup, à la morsure également venimeuse, mais non mortelle si on intervenait à temps. Nous hissâmes Wally sur le cheval et un médecin de village, à trois milles de là, le sauva.

« Nous dûmes rester un mois chez ce médecin, un très chic type. Je travaillai pour lui, afin de le dédommager, pendant la convalescence de Wally. Le soir, je lisais ses livres, en anglais et en espagnol. Ce fut ainsi que je m’initiai à ces questions, qui n’ont pas cessé de me passionner depuis. Le médecin psychanalysa Wally, et me confirma qu’il était de ceux qui ne peuvent se tuer, c’est pour eux une impossibilité, à la fois physique et mentale.

— Donc l’hypothèse doit être écartée ?

— Absolument.

Il tritura encore la boule rouge.

— Petit, quand nous entrerons, contente-toi de t’appuyer à la porte. Ne dis rien.

— Quand nous entrerons… où ?

— Chez Kaufman. Il n’est pas marié, il habite une chambre dans une pension de La Salle Street.

— Il rentre chez lui à pied. J’ai déjà repéré les lieux.

— O.K.

— Il ferme assez tôt le lundi soir. Nous devrions le trouver au gîte vers une heure un quart. Partons, il est déjà minuit passé.

Nous quittâmes bientôt la taverne et déposâmes la valise de papa à l’hôtel Wacker. Puis nous gagnâmes La Salle Avenue, et mon oncle avisa sur le côté ouest de l’avenue, tout près du coin, une porte d’immeuble où nous pûmes nous dissimuler. Les passants étaient rares. Enfin Kaufman apparut. Il nous dépassa, sans nous voir.

Nous sortîmes alors de notre cachette et l’encadrâmes. Il s’arrêta brusquement, mais chacun de nous lui ayant pris un bras, nous l’obligeâmes à reprendre sa marche. Une expression de terreur crispait ses traits, on sentait qu’il croyait sa dernière heure venue. Il articula péniblement :

— Écoutez, je…

— Nous causerons dans ta chambre, dit mon oncle.

Nous arrivâmes devant la porte. Mon oncle lâcha le bras de Kaufman et entra sans hésiter, comme s’il connaissait bien son chemin. Je me souvins de lui avoir entendu dire qu’il avait repéré les lieux.

Je fermai la marche, derrière Kaufman, qui traîna un peu les pieds, dans l’entrée. Mais il me suffit de lui toucher le dos avec mon doigt pour le faire repartir et gagner l’escalier.

Au troisième étage, mon oncle tira une clef de sa poche et ouvrit une porte. Il entra et alluma. Nous le suivîmes, je fermai la porte et m’y adossai.

— Que diable, écoutez-moi… commença Kaufman.

— Tais-toi, dit mon oncle. Assieds-toi.

Il poussa le tenancier qui se trouva assis sur le bord du lit.

Sans s’occuper de lui, mon oncle s’approcha de la fenêtre et tira le store. Puis il prit le réveil sur la table de toilette. Les aiguilles de ce réveil, fort bruyant, marquaient deux heures moins neuf. Après avoir consulté sa montre-bracelet, mon oncle mit les aiguilles à deux heures moins le quart. Il donna alors quelques tours de clef pour remonter les deux mouvements, puis il mit le réveil à deux heures.

— Jolie pendule, dit-il. J’espère que le réveil ne dérangera pas trop tes voisins en sonnant à deux heures. Nous avons un train à prendre.

Il ouvrit le tiroir de la table de toilette et en tira un petit revolver nickelé, un 32.

— Tu permets que je te l’emprunte, Georges ? Des joujoux dangereux, ajouta-t-il en me regardant, et qui attirent facilement des ennuis. C’est pour ça que je n’ai jamais voulu en avoir. Petit, donne-moi cet oreiller.

J’obéis. De sa main gauche, mon oncle plia l’oreiller sur sa main droite, qui tenait le revolver. Puis il se cala contre la table de toilette. On n’entendit plus que le tic-tac de la pendule.

Kaufman transpirait à grosses gouttes.

— Vous êtes fous ! dit-il. La police vous aura !

— Qu’est-ce que tu racontes ? dit mon oncle, qui m’adressa un sourire. Tu comprends, petit ?

— Il s’imagine peut-être que nous le menaçons ?

— Quelle idée ! fit mon oncle. J’aime trop Georges pour ça.

Encore un silence, toujours rythmé par le tic-tac du réveil. Kaufman tira un mouchoir de sa poche et s’épongea le front, puis il s’adressa à mon oncle.

— Bon, bon… Faites taire ce réveil. Qu’est-ce que vous voulez ?

— Tu le sais, mon ami. On t’écoute.

— Le nom de Harry Reynolds vous dit-il quelque chose ? Non ? Eh bien, c’est un bandit. Il y a trois semaines, il était chez moi, avec deux types, lorsque ce Wally Hunter est entré pour boire un verre ; lui aussi était accompagné par deux types.

— Quel genre ?

— Des types ordinaires, des imprimeurs. Un gros et un petit. L’un m’était inconnu, mais Hunter l’appela Jay. L’autre était déjà venu avec Hunter, il s’appelle Bunny.

Mon oncle me lança un coup d’œil, auquel je répondis par un signe d’assentiment. Je savais qui était Jay.

— Ils prirent des consommations, dit Kaufman, puis ils partirent et l’un des compagnons de Reynolds se leva et partit aussi, comme s’il comptait les suivre. Alors ce Reynolds s’approcha et vint au bar. Il me demanda le nom de celui qui avait été assis entre les deux autres. Je lui dis qu’il s’appelait Wallace Hunter.

— Eut-il l’air de reconnaître ce nom ? demanda mon oncle.

— Oui. Je compris qu’il n’était pas sûr de son fait avant que je lui dise le nom, mais après, il était sûr. Il me demanda l’adresse de Hunter, je l’ignorais. C’était un client qui venait de temps en temps. Reynolds n’insista pas, prit une nouvelle consommation et partit avec son copain.

« Le lendemain, il revint, me dit qu’il voulait voir Hunter pour une affaire, et me demanda de me renseigner auprès de lui la prochaine fois qu’il viendrait. Et il me donna un numéro de téléphone en précisant que, dès l’arrivée de Hunter, je devais le prévenir, mais sans que Hunter en sache rien.

— Quel était ce numéro ?

— Wentworth 3842. Je devais laisser un message s’il était absent. Je devais aussi communiquer l’adresse de Hunter, si je la découvrais, en appelant le même numéro.

— Ça se passait le lendemain ?

— Oui. Je suppose qu’il fit suivre Hunter par un de ses gars dans l’espoir de découvrir son adresse, mais que celui-ci échoua. Reynolds est donc revenu pour se renseigner par moi. Il m’apprit le sort qui m’attendait si je n’obéissais pas, s’il découvrait que Hunter était revenu et que je ne l’avais pas prévenu.

— Hunter est-il revenu ensuite, entre ce soir-là et sa mort ?

— Non. Il ne revint que deux semaines plus tard, le soir-même où il devait être tué. Tout ce que j’ai dit à l’enquête au sujet de ce soir-là est exact, je n’ai omis que l’appel téléphonique. Que diable, Reynolds m’aurait tué si j’avais désobéi !

— Tu as parlé à Reynolds en personne ?

— Non. Personne ne répondit au bout du fil lorsque j’appelai ce numéro. J’appelai deux fois, d’abord au moment de l’arrivée de Hunter, et ensuite dix minutes plus tard. Personne ne répondit, et j’en fus heureux, car je ne tenais pas à être mêlé à cette affaire plus qu’il n’était nécessaire. En quoi tout ceci vous intéresse-t-il ?

— Peu importe, dit mon oncle. Nous ne t’attirerons pas d’ennuis avec Reynolds. Que lui as-tu dit lorsque tu l’as vu ?

— Je ne l’ai pas vu depuis. Il a dû retrouver Hunter d’une autre façon, probablement par un de ses gars qui filait Hunter…

À ce moment le réveil sonna et tous trois, nous sursautâmes. Mon oncle l’arrêta. Il jeta l’oreiller sur le lit et mit le revolver sur la table de toilette.

— Où habite Reynolds ? demanda-t-il.

— Je l’ignore, je ne connais que le numéro de téléphone.

— Quelle est sa spécialité ?

— Il ne s’occupe que d’affaires importantes : vols de banques, etc. Son frère a été condamné à vie, pour un vol de banque.

Mon oncle hocha tristement la tête.

— Georges, tu ne devrais pas fréquenter des gens de cette espèce. Qui étaient les deux types qui accompagnaient Reynolds le dernier soir où il est venu, le soir où Hunter est venu ?

— L’un s’appelait Dutch, un grand gaillard. J’ignore le nom de l’autre, un petit. Dutch est celui qui suivit Hunter et qui l’a laissé filer entre ses doigts, je le suppose, du moins, autrement Reynolds n’aurait pas été obligé de revenir le lendemain.

— C’est tout ce que tu peux nous apprendre ?

— Oui. Si j’en savais davantage, je vous le dirais. Vous avez un numéro de téléphone maintenant, mais ne lui dites pas comment vous l’avez su.

— Nous ne dirons rien à personne, Georges. On va te laisser dormir, maintenant.

Mon oncle se leva, et j’allais ouvrir la porte lorsqu’il revint encore à Kaufman.

— Écoute, Georges, je fais semblant de collaborer avec la police, et il est possible que je doive communiquer certains renseignements. Ils sont mieux placés que nous pour retrouver Reynolds, dans le cas où le numéro de téléphone ne correspondrait à rien. Mais ne le donne à personne. Si Bassett t’interroge, dis-lui tout ce que tu m’as dit, sauf le numéro. On t’avait chargé de retrouver l’adresse de Hunter, Reynolds devait revenir la chercher. Seulement il n’en fit rien.

Nous descendîmes l’escalier et retrouvâmes l’air pur de la nuit.

Je songeai que nous savions maintenant à qui nous avions affaire : à de vrais bandits, pas à des figurants comme Kaufman.

Et nous allions tenter l’aventure seuls, puisque l’oncle Ambroise ne voulait pas communiquer le numéro à Bassett. Dans Oak Street, sous le réverbère, mon oncle me regarda.

— Tu as peur, petit ?

La bouche sèche, je fis un signe d’assentiment.

— Moi aussi, dit-il. On va voir Bassett, ou on essaye de s’amuser un peu ?

— Essayons, dis-je.